Un arrêt de la Cour de justice de l'union européenne qui fait évoluer la législation sur les pesticides

La CJUE a rendu le 1er octobre 2019 un arrêt répondant aux questions préjudicielles posées par le Tribunal correctionnel de Foix par un jugement avant dire droit du 12 octobre 2017. Le Tribunal questionnait la Cour sur la validité du règlement européen concernant les méthodes d’évaluation des pesticides.

Arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 1er octobre 2019.

La Cour apporte des précisions et interprétations essentielles sur le règlement européen qui remettent en cause un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché de produits pesticides dont le très controversé glyphosate. Les procédures d’évaluation ne sont pas correctement appliquées par les autorités. Nous apportons quelques commentaires sur les apports de cet arrêt de la Cour Européenne de Justice.

 

1. Concernant l’identification des substances actives d’un produit pesticide :

Le Tribunal interrogeait la Cour sur l’identification et la déclaration des substances actives dans le dossier de demande d’approbation d’un produit pesticides.
Nous avons en effet relevé que de nombreuses substances contenues dans certains pesticides étaient non déclarés, ou déclarés substances inertes alors qu’elles avaient un effet important parfois jusqu’à mille fois plus toxique que la substance déclarée active. Ce défaut de déclaration par les demandeurs pose une difficulté majeure.

La Cour considère qu’« il incombe aux autorités compétentes de s’assurer que l’obligation d’identifier les substances actives contenues dans le produit phytopharmaceutique visé par une demande d’autorisation a été respectée par le demandeur, afin d’être en mesure de vérifier que ce produit répond aux conditions prévues à l’article 29 de ce règlement, lequel impose, notamment, à son paragraphe 1, sous a), que chacune de ces substances actives ait été approuvée ». Elle précise qu’ « En tout état de cause, le titulaire d’une autorisation portant sur un produit phytopharmaceutique, qui n’aurait pas, dans sa demande d’autorisation, mentionné l’ensemble des substances actives contenues dans celui-ci, s’exposerait, en vertu de l’article 44, paragraphe 3, sous a) et b), dudit règlement, à ce que cette autorisation lui soit retirée. »

Le défaut de déclaration de substances actives ne relèverait donc pas d’une insuffisance de la législation, mais de la fraude du déclarant, fraude qui à notre sens est avérée dans plusieurs dossiers d’autorisation.

 

2. Concernant la prise en compte de l’effet cumulé des composants d’un produit pesticide :

Le Tribunal interrogeait la Cour sur le défaut de prise en compte de l’effet cumulé de plusieurs molécules toxiques présentes dans un produit appelé « l’effet cocktail ». Cet effet cocktail augmente parfois très fortement l’effet toxique d’un produit pesticide. Le défaut de prise en compte de ce cumul de produits toxiques constituait selon nous une non-conformité au principe de précaution.

La Cour répond par une interprétation des textes en indiquant que « les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit. »
Cet effet cocktail des substances doit donc être pris en compte dans l’ensemble des procédures d’évaluation, tant au niveau de l’approbation des substances actives que de l’autorisation de mise sur le marché de produits finis. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Pour exemple, concernant les produits à base de Glyphosate, l’EFSA explique ses divergences d’avis avec le CIRC en indiquant clairement que l’évaluation européenne de l’EFSA porte sur la seule molécule glyphosate (sans tenir compte des formulations complètes commercialisées ou coformulants) alors que le CIRC a quant à lui tenu compte de toutes les publications scientifiques, y compris concernant les formulations complètes (donc avec analyse de l’effet cocktail). L’EFSA traduit cela comme « une approche différente » de l’analyse.

L’EFSA déclare ainsi : « Dans son rapport, le CIRC a étudié le glyphosate – la substance active concernée – mais aussi des formulations contenant du glyphosate et d’autres coformulants, regroupant ainsi dans son étude toutes les formulations, indépendamment de leur composition. Dans l’évaluation menée au niveau de l’UE, en revanche, les experts n’ont considéré que le glyphosate. Il incombe ensuite aux États membres d’évaluer chaque produit phytopharmaceutique spécifique (chaque formulation) commercialisé sur leur territoire. » (http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/efsaexplainsglyphosate151112fr.pdf)

L’arrêt de la CJUE de notre avis montre clairement que l’EFSA n’applique pas correctement la législation européenne et aurait dû comme l’a fait le CIRC tenir compte de toutes les publications concernant les produits complets et les effets cumulés de la « substance active » avec les composants du produit. Le fait de ne réaliser une analyse à long terme que sur une partie du produit tel que commercialisé alors que des co-formulants le rendent nettement plus toxique constitue manifestement un détournement de procédure.

 

3. Concernant la fiabilité des études scientifiques produites par le demandeur à l’autorisation d’un produit pesticide :

Le Tribunal interrogeait la Cour européenne sur la fiabilité de dossiers de demandes d’autorisations montés par les demandeurs, dossiers par nature partiaux.
La Cour apporte plusieurs informations cruciales, notamment le fait que les autorités instruisant les dossiers « ne sauraient se fonder sur des essais, des analyses et des études pour lesquels celui-ci n’aurait pas fourni d’éléments démontrant qu’ils ont été réalisés par une institution fiable sur la base de méthodes conformes aux principes scientifiques admis. » et que « il incombe aux autorités compétentes, en particulier, de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale et de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur. »

Ainsi, lorsque l’on retrouve plusieurs centaines de pages « copiées collées » du dossier du demandeur dans le rapport final des autorités, on peut s’interroger sur le poids prépondérant donné aux études fournies par le demandeur, et la légalité des autorisations délivrées.

Cet arrêt va donc permettre un éclaircissement sur ce point.

 

4. Concernant la publicité du dossier de demande d’autorisation :

Le Tribunal demandait s’il n’y avait pas incompatibilité entre la confidentialité de certains éléments du dossier des demandeurs et le principe de précaution.
La Cour relève qu’« il ne saurait être exclu que le renforcement de la transparence de ces procédures soit de nature à permettre une meilleure évaluation encore du risque pour la santé résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique, en permettant au public intéressé d’avancer des arguments s’opposant à l’octroi de l’approbation ou de l’autorisation sollicitée par le demandeur ».
La Cour rappelle également que « les États membres ne peuvent prévoir qu’une demande d’accès qui concerne des informations relatives à des émissions dans l’environnement soit rejetée pour des motifs tirés de la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles. »
Ce rappel tout comme la décision du Tribunal de l’Union Européenne en date du 7 mars 2019, interdira toute opposition à communication de données lors d’une prochaine procédure d’approbation ou d’autorisation.

 

5. Concernant l’absence d’études de carcinogénicité et de toxicité aux fins de la procédure d’autorisation :

 

Le Tribunal et les demandeurs interrogeaient la Cour sur la double procédure d’analyse, d’une part au niveau européen concernant exclusivement les « substances actives » et d’autre part au niveau des Etats membres concernant la mise sur le marché des produits finis.
Sachant que les produits commercialisés peuvent être jusqu’à mille fois plus toxiques que la substance active déclarée, et que seule la substance active fait l’objet d’études à long terme de carcinogénocité et de toxicité, les demandeurs soulevaient un défaut de respect du principe de précaution.

La Cour répond clairement en interprétant le texte et en expliquant que les analyses à long terme de toxicité et carcinogénicité doivent être effectués dans les deux procédures, c’est-à-dire à la fois pour l’autorisation de substance active au niveau européen, et pour les autorisations de mise sur le marché au cas par cas.
Cette législation n’est donc pas appliquée actuellement. Les autorisations de mise sur le marché sont délivrées sans analyse de toxicité et carcinogénicité à long terme des produits finis tels que commercialisés.

Le défaut de respect de cette procédure devrait entrainer le retrait immédiat de nombreuses autorisations de mise sur le marché de pesticides.

 

En conclusion :

Cet arrêt donne une interprétation fort utile du règlement européen sur les méthodes d’autorisation de mise sur le marché des pesticides. L’interprétation de la Cour de Justice démontre que les procédures légales ne sont pas appliquées ou incorrectement appliquées. Cet arrêt permet aujourd’hui de contester un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché qui n’ont pas respecté la procédure européenne, notamment l’autorisation de mise sur le marché des herbicides à base de glyphosate qui repose sur une analyse de l’EFSA ne prenant pas en compte l’effet cocktail des molécules associées au glyphosate.

Concernant le dossier au fond, nous maintiendrons donc notre demande de relaxe.
Nous pourrons également soulever l’illégalité de nombreuses autorisations de mise sur le marché grâce à cet arrêt, les procédures réglementaires n’étant pas respectées.

Maître Guillaume TUMERELLE, avocat (droit de l’environnement, droit rural)

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