L’Etat adopte un barème d’indemnisation pour les enfants et proches victimes d’une exposition prénatale aux pesticides.
Nous dénonçons depuis de nombreuses années au travers de nombreux procès jusque devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, l’insuffisance d’évaluation des pesticides et la fraude des industriels qui ne déclarent pas et n’affichent pas l’intégralité des produits toxiques composant ces produits. Malgré un arrêt clair de la Cour Européenne rendu le 1er octobre 2019, l’Etat n’a toujours pas modifié ses pratiques de sous-évaluation avant la mise sur le marché. L’Etat préfère travailler sur la limitation de l’indemnisation des victimes…
L’article L491-1 du code rural créé par une loi du 24 décembre 2019 a instauré un régime d’indemnisation forfaitaire en réparation des maladies causées par des pesticides faisant ou ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. Un arrêté fixant les règles et montants de réparation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents vient d’être adopté le 7 janvier 2022 par le Ministre des solidarités et de la santé.
Cette indemnisation est réservée aux enfants dont l’un au moins des parents a été exposé à titre professionnel. Les enfants exposés dans un autre cadre ne bénéficient pas de ce texte (parents riverains de parcelles traitées, parents vivants sur la ferme dans un cadre familial mais n’étant pas eux-mêmes considérés comme professionnellement exposés, parents jardiniers amateurs utilisateurs de pesticides).
Ce texte vise l’indemnisation des proches et des enfants atteints de leucémie, tumeur cérébrale, fente labiopalatine, hypospadias (malformation du pénis), trouble du neuro-développement (trouble de l’apprentissage, de la communication, hyperactivité, troubles du spectre autistique, déficience intellectuelle) ou autres pathologies voir plusieurs de ces pathologies. L’arrêté fixe, en fonction du taux d’atteinte de la victime, avant consolidation, des rentes mensuelles, et, après consolidation, des indemnités en capital. Elle fixe également le montant des indemnités en capital en cas de décès de la victime et une indemnisation des frais d’obsèques.
Cet arrêté ouvre des droits pour les familles des victimes et donc une reconnaissance à la fois du préjudice et d’un lien de causalité entre l’exposition prénatale et la survenue de ces pathologies mais plafonne les indemnisations en les forfaitisant. Le lien de causalité n’est cependant pas retenu d’office, la commission d’indemnisation saisie de la demande doit se prononcer sur ce point au cas par cas. Une fois le lien de causalité établit, la commission procède à l’évaluation du taux d’atteinte pour déterminer le niveau d’indemnisation de la victime.
Cette indemnisation représente une avancée pour les familles. Si nous pouvons saluer ce premier pas vers une reconnaissance des victimes ainsi que ceux qui se sont battus pour cette avancée, il nous paraît nécessaire de rappeler que l’Etat doit être le garant de notre santé et qu’en ce sens, il doit prévenir les pollutions et accorder véritablement à chacun le droit de vivre dans un monde sain et éviter de mettre en danger les générations à venir.
Il paraît aberrant que l’Etat se contente d’indemniser les victimes et ne prenne pas toutes les mesures permettant de mieux évaluer les pesticides et suspendre l’exposition des français et des enfants à naître. Il semble urgent qu’il le fasse afin que les familles puissent cesser de dénombrer les malades et les disparus.
Dans le cas notamment des herbicides à base de glyphosate ou des néonicotinoïdes, l’alerte est pourtant lancée depuis des années, un niveau de preuve suffisant est atteint au gré d’expertises, d’études et de rapports qui se succèdent et s’amoncellent (CIRC, INSERM , INRAE…). Les dossiers que nous traitons, les experts que nous côtoyons (agriculteurs, agronomes, chercheurs, médecins…), nous permettent d’avoir une pleine conscience de ces réalités. Avec ce niveau de connaissance acquise, comment peut-on surseoir aux interdictions de produits sans prendre une part de responsabilité dans les drames qui se jouent ?
Les indemnisations seront versées par le fond d’indemnisation des victimes de pesticide (opérationnel depuis le 30 novembre 2020). Ce fond est financé pour partie par des contributions des régimes accidents du travail et maladies professionnelles et pour partie par une fraction de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques. Est-ce que le paiement d’une taxe dédouane les firmes productrices de leur responsabilité envers notre santé et celle de l’environnement ?
L’Etat semble malheureusement plus enclin à plafonner l’indemnisation des victimes qu’à faire respecter les méthodes d’évaluation de toxicité des pesticides fixées par l’Europe telles qu’interprétées par l’arrêt de la Cour Européenne de justice du 1er octobre 2019.
Ainsi, la perte d’un enfant sera indemnisée forfaitairement à hauteur de 25.000 euros, les frais d’obsèques seront indemnisés pour un maximum de 2500 euros et sur présentation de justificatifs. Le prix d’une vie…
Aude DESAINT, expert environnement
Guillaume TUMERELLE, avocat
Pour en savoir plus :
https://fonds-indemnisation-pesticides.fr/
https://fonds-indemnisation-pesticides.fr/le-fonds-dindemnisation/